L’art baroque alpin
Une civilisation à part entière
UNE SACREE CIVILISATION !
Comme toutes les belles histoires, celle de l’art baroque commence par « il était une foi… »
Car c’est bien là, dans la volonté de glorifier Dieu et de raviver la foi chrétienne que cet art éclatant prend sa source. Pour autant, en ces temps de grand chamboulement, le Tout-Puissant n’est pas toujours celui que l’on croit…
QUAND LE POUVOIR CHANGE DE MAINS : L’ESSOR IRRESISTIBLE DE L’ETAT MODERNE.
En apparence loin des vallées alpines, notre histoire commence à Rome et à Turin, au XVIème siècle… Le souvenir des grandes épidémies est prégnant, les Guerres d’Italie puis les Guerres de religion sont passées par là, c’est la fin d’une civilisation médiévale au sein de laquelle les pouvoirs délégués pouvaient paraître dispersés. Comme d’autres en Europe, la souveraineté princière savoyarde est bien décidée à réaffirmer son pouvoir absolu face au pape, à l’empereur et autres contre-pouvoirs comme la noblesse, les parlements et les communes.
Quand le pouvoir change de main...
Bien que le prince règne « par la Grâce de Dieu », les autorités laïques s’émancipent de celle du pape. L’Eglise catholique se doit de restaurer son autorité. D’autant qu’avec la multiplication des voies de communication et des échanges, sa bonne parole n’est plus la seule à circuler. Un vent de modernité culturelle et institutionnelle souffle avec la Renaissance et le courant protestant déferle sur l’Europe.
C’est dans ce contexte que se tient, de 1545 à 1563, le Concile de Trente. Les fondements du christianisme sont réaffirmés ; la formation doctrinale et l’instruction du clergé repensées ; le cérémonial et les cultes recadrés ; les lieux de culte magnifiés… La Contre-Réforme est lancée !
Témoin d’époque
Si l’on avait à l’époque interrogé le curé d’une paroisse de montagne son témoignage nous aurait sans doute éclairé :
« Pour un coup d’essai, ce fut un coup de maître ! Imposé par le prince pour servir son image, soutenu par l’Eglise pour magnifier celle de Dieu, l’art baroque va être plébiscité par tout un peuple ; diffusant dans toutes les couches de la société ; s’invitant dans les hameaux les plus éloignés ; accompagnant les actes les plus concrets du quotidien ; infiltrant tous les modes d’expression artistiques… Et renforçant la continuité entre profane et sacré, propre à la culture populaire alpine. Si j’osais, je dirais que ça tient du miracle ! »
Derrière la richesse intérieure...
Derrière la richesse intérieure, la surenchère d’ornements et l’exubérance caractéristique du style, se cache une communauté de quelques âmes, humbles, pour ne pas dire démunies…
Une communauté dévouée !
… regroupant leurs économies et dépensant plus que de raison pour offrir au lieu de culte, bien commun de la confrérie, du quartier, ou de l’ensemble de la communauté, un nouvel aspect à la dimension de leur foi.
Un sacré pari, pour s’attirer les faveurs de Dieu ou appeler de ses vœux la protection des saints contre les épidémies, les famines ou les catastrophes naturelles, mais aussi dans les actes les plus concrets du quotidien. Aussi, c’est l’imaginaire et l’espérance des communautés montagnardes d’antan qui se dévoilent au travers d’un art populaire autant que savant !
Cinq siècles plus tard, l’idée en fera sourire certains, mais à l’époque, s’ils ne l’avaient pas fait, Dieu seul sait ce qui serait arrivé !
FAUT-IL S’ADRESSER A DIEU PLUTÔT QU’A SES SAINTS ?
Le concile de Trente (1545-1563) prône une interprétation assez différente : C’est par l’intermédiaire des saints que l’on s’adresse à Dieu ! L’idée n’est pas systématiquement d’interdire ou d’imposer telle ou telle pratique, mais d’en redresser les dérives et d’en définir les limites. Objectif : remettre de l’ordre dans les ordres… et dans les pratiques du clergé séculier comme dans celles des paroissiens.
FAUT-IL S’ADRESSER A DIEU PLUTÔT QU’A SES SAINTS ?
C’est ainsi que la dévotion aux saints a encore sa place, tant que le culte de Dieu garde la préséance. L’hommage religieux à la mémoire des défunts reste légitime, mais le cérémonial doit savoir raison garder. Et s’il n’est pas question de nier les manifestations divines, seule l’Eglise est autorisée à crier au miracle. Quant aux pratiques du culte jugées par trop populaires, on les intègre dans les canons du concile plutôt que de tirer dessus à boulets rouges.
Vous l’aurez compris : il s’agit de recadrer les fidèles, mais en y mettant la manière et les formes.
Et puisqu’il est question d’intercesseurs et de formes, l’art baroque, avec sa profusion de statues à la gestuelle théâtrale et ces ornements tout en courbes et contrecourbes, sera choisi comme l’un des outils et la plus belle vitrine pour éduquer les fidèles et, qui sait, tenter de séduire ceux qui avaient suivi un autre chemin…