L’art baroque alpin
Un territoire et des sites
Derrière cette croix, il faut en imaginer des milliers ; en bois, en pierre ou en fer ; plantées au cœur des églises, au sommet d’un col ou à la croisée des chemins ; délimitant et protégeant ce que furent les états de la Maison de Savoie comme autant d’immuables sentinelles… Si l’on fait exception de toutes celles emportées par les avalanches et glissements de terrain.
QUAND L’ART DE RÉGNER CONDUIT AU RÈGNE DE L’ART
Pour comprendre comment l’art baroque s’est développé si rapidement dans les vallées de Roya et Bévéra, au cœur des Alpes Maritimes, dans celles de Maurienne, Tarentaise, Beaufortain et Val d’Arly en Savoie et dans les vallées du Pays du Mont-Blanc en Haute-Savoie, il faut remonter quelque 500 ans en arrière.
QUAND L’ART DE RÉGNER CONDUIT AU RÈGNE DE L’ART
A cette époque, ces contrées, aujourd’hui distinctes et distantes, étaient rattachées au duché de Savoie et, à partir de 1718, parties prenantes du royaume de Piémont-Sardaigne, sous l’autorité d’un prince qui entrevit dans l’art baroque, flamboyant et exubérant, un excellent moyen d’afficher sa grandeur et de marquer son territoire.
Preuve en est qu’il eut raison, puisqu’aujourd’hui encore, bien que disparu de la carte, ce royaume rayonne des milliers de perles égrenées sur le territoire !
Toutefois, dans les vallées et villages, si le pouvoir princier, relayé par le clergé, avec notamment les visites pastorales et les injonctions des évêques, incite les communautés à reconstruire ou réaménager leurs églises paroissiales, il n’est en rien le commanditaire ni le financeur de ces travaux. C’est aussi la communauté villageoise qui marque par le chantier paroissial sa puissance et sa relative autonomie.
LE BAROQUE : UN ART QUI EN IMPOSE
Dans ce système verrouillé de toutes parts, entre un seigneur tout puissant sur ces terres et un clergé gardant la main sur le Ciel, l’expression artistique l’est aussi, avec un goût baroque diffusé depuis le sommet de l’Etat.
Un stéréotype aurait pu être imposé… Mais c’eut été sans compter l’extraordinaire foisonnement du baroque, aux formes variées et multipliant les trajectoires, qui va permettre à chaque vallée, à chaque village, à chaque artiste, d’évoluer entre modèle imposé et figures libres…
En Haute-Maurienne, ce sont des dynasties de sculpteurs locaux qui réservent la flamboyance du baroque aux ornements intérieurs, tandis qu’en vallée de Bévéra, l’esprit baroque s’exprime aussi dans l’architecture comme dans l’urbanisme : La proximité et les liens plus étroits avec Turin explique sans doute la facture baroque plus savante des édifices du comté de Nice.
Loin de la route royale, en Val Montjoie, c’est une suite d’oratoires qui vient compléter la multitude d’églises et de chapelles, comme autant de jalons posés pour guider les fidèles sur le chemin de la foi, les montagnards sur les chemins muletiers et, des siècles plus tard, vous, sur les sentiers à la découverte du baroque…
PAROLE DE MONTAGNARD
« 1561, je m’en souviens très bien. C’est l’année où, conformément à l’Édit de Rivoli, il a été décidé que les Savoyards et Valdotains rédigeraient leurs documents en français, tandis que les Niçois et Piémontais utiliseraient l’italien. De quoi en perdre son latin…
PAROLE DE MONTAGNARD
… Mais pour les Savoyards, habitués à déplacer les montagnes, la langue n’a jamais été une barrière. Quant aux piémontais, ils pouvaient toujours parler avec les mains ! Du coup, les échanges ont continué d’aller bon train… »
Avec le Provençal, le Franco-provençal avec ses variantes et dialectes locaux, le Niçard, etc. les vallées alpines, territoires de contacts, connaissent dans les faits un foisonnement linguistique bien dans l’esprit du temps, malgré la pression administrative qui pousse à l’uniformisation… et les efforts de Monsieur de Vaugelas, « mousquetaire de la langue française » !
DÉCRYPTAGE
Le retable peut être d’un Francomtois, les statues d’un Valsésian, l’autel d’un Savoyard et les peintures signées d’un Milanais…
Et si l’on ajoute que les Valdôtains parlaient français et les Niçois écrivaient en italien, vous avez à travers une œuvre baroque une vision précise des possessions transalpines de la Maison de Savoie aujourd’hui disparues, bien antérieures aux frontières actuelles et se jouant des barrières naturelles…