L’art baroque alpin
Le baroque, matière à émotion et formes de séduction
Dans ce voyage éclatant de couleurs et de dorures, vous découvrirez de fausses matières cachant de vrais savoir-faire ; des bois imitant à la perfection la pierre ; de tous petits détails dans de grandes perspectives… Et le plus incroyable dans cette histoire, c’est qu’une fois révélés tous les secrets de ce maître de l’illusion, cet art n’aura rien perdu de son pouvoir sur vous…
Son pouvoir de séduction , l’art baroque le puise aussi dans toutes les matières mises en œuvre dans ses décors. Les tissus apportent évidemment toute la palette de leurs nuances mais, parmi les matériaux plus singuliers, les cuirs sont aussi d’un usage répandu : dans les églises de montagne, vous les verrez ici en médaillons peints sur le retable dédié à Notre-Dame du Rosaire, comme en l’église de Saint-Bon (Courchevel, Tarentaise), ou plus fréquemment, en lés repoussés et peints – à la manière des cuirs de Cordoue – sur de nombreux devant d’autels d’églises comme de petites chapelles…
FAUSSE MATIERE ET VRAI SAVOIR-FAIRE
Si les artistes de la période baroque ont fait du trompe l’œil et des fausses matières leur domaine de prédilection, ce n’est ni par calcul, ni pour faire illusion, mais bien par souci de perfection…
L’art baroque était à ce point riche de formes, de styles et de couleurs que même les matières les plus précieuses et les plus nobles ne suffisaient à couvrir leurs exigences.
Ainsi, la rareté autant que le poids de l’or rendaient cette matière inadaptée à un art accumulant les représentations et juxtaposant les scènes. D’où la préférence donnée aux feuilles d’or, permettant de couvrir un maximum de décors et d’ornements, sans surcharge pondérale.
Dans un autre registre, plutôt que d’investir dans un bloc de marbre pouvant présenter certaines imperfections, on préférait investir dans de fausses matières, mais de vrais savoir-faire : un faux marbre plus vrai que nature. Ces fausses matières pouvaient être aussi coûteuses que le matériau authentique, mais garantissaient un rendu irréprochable.
FAIRE PIÈCE DE TOUT BOIS
L’intention est excellente, quand on sait l’importance des zones boisées et la diversité des essences dans les vallées alpines. Mais pour ce qui est de la réalisation, sachez qu’on ne fait pas n’importe quelle pièce avec n’importe quel bois…
Parfois fourni par la collectivité, il est quelquefois choisi par l’artiste qui, seul, sait lire dans les formes naturelles les traits qu’il sera possible de faire naître sous la gouge. C’est ainsi qu’il choisira ici le chêne, ou plus souvent le noyer, pour la réalisation de la chaire ou des stalles, là le pin cembro – ou arole – pour la statuaire du retable ou le Christ de la poutre de gloire…
Quant aux boiseries, panneaux et mobiliers, la technique sublime les matières, avec la marqueterie notamment. Un art qui verra les ateliers rivaliser de virtuosité dans la découpe et l’ajustage des essences les plus variées afin de restituer la diversité du monde et de l’animer par des scènes figuratives finement détaillées. L’ébène pour le noir, le pernambouc pour le rouge, des bois à fibres droites pour imiter la pierre. Et pourquoi pas de la corne ou de l’écaille de tortue…
UN ART EN MOUVEMENT
L’œuvre ne se décrit pas, elle se ressent. Pour autant, quand on sait l’incroyable effet produit par l’art baroque, forcément on a envie de connaître ses secrets.
UN ART EN MOUVEMENT
En un mot comme en cent, tout est là pour vous transporter :
Dans un espace consacré : qui pourra être de plan basilical, avec ou sans transept, en forme de croix grecque, avec des axes perpendiculaires portant coupole, voire hexagonal ou elliptique… Le plan barlong reste néanmoins le plus communément retenu, tant pour la simplicité de sa mise en œuvre architecturale que pour la facilité de son utilisation cultuelle.
De bas en haut : en donnant aux élévations architecturales un caractère symbolique et spirituel. Avec une succession de niveaux, conduisant d’un sol ordinaire où est réduite l’humanité, jusqu’à la coupole à l’effet théâtral, toute en trompe en l’œil et en lumière, matérialisation céleste du règne divin.
Et entre les deux, sur le chemin qui mène au Ciel : quelques marches pour accéder au chœur, réservé aux officiants du Clergé . Puis au-dessus de l’autel, des parois ou retables à l’effigie des saints, peints, sculptés ou modelés en stuc. Et, de là jusqu’en haut, côtoyant l’Eternel, la multitude des anges.
L’ensemble éclairé originellement par des verrières sans décor, ouvertes au-dessus de la corniche, laissant la lumière divine retomber sur les niveaux inférieurs, en les baignant d’un éclairage proportionnel à la distance les séparant du Ciel.
Sans discontinuer, avec un décor peint sans fragmentation pour un effet théâtral garanti. Servi par de vastes compositions architecturales en trompe l’œil animées par une sorte de tourbillon, dont la perspective accentue la profondeur visuelle de l’édifice. Et pour raconter différents épisodes de la vie d’un saint, les scènes seront juxtaposées dans un décor continu, comme dans la coupole centrale de l’église Notre-Dame de l’Assomption à Cordon (Haute-Savoie).
S’il existe dans les anciens Comté de Nice et Duché de Savoie des décors civils tout aussi baroques, faisant souvent appel aux mêmes formes pour d’autres messages – les mêmes dessins à d’autres desseins en quelque sorte – dans les vallées de montagne, ce sont essentiellement les édifices paroissiaux qui ont été aménagés et décorés dans cet esprit.
TÉMOIGNAGE
Commanditaire de la flèche à double bulbe en remplacement de celle abattue le 3 germinal de l’An II, le représentant de la communauté de Bozel, nous raconte :
« Le message était clair : construire une flèche à peu près comme celle qui existait avant la Révolution. Si clair que grâce à la souscription publique et à une coupe dans le bois communal, les matériaux nécessaires à sa construction affluèrent, amenés à pied d’œuvre grâce à 2640 journées de corvée, rendues obligatoires sous peine de 1,5 francs d’amende par jour !
DE L’IMPORTANCE D’Y METTRE LES FORMES
Recadrer les fidèles en y mettant les formes, tel était le dessein de l’Eglise. Et si elle a choisi le langage artistique baroque pour porter son message, ce n’est pas un hasard… Mais pour ses tout petits détails faisant sa grandeur… et venant servir celle de Dieu.
DE L’IMPORTANCE D’Y METTRE LES FORMES
Parmi les éléments et formes constitutifs du baroque des chantiers paroissiaux :
- En premier lieu la colonne, support bien sûr, mais aussi jonction entre la terre et le Ciel. Qu’elle soit de bois polychrome ou doré ou de marbre, droite, cannelée, gainée, baguée… elle apparaît dans la plus grande variété, notamment dans la construction des retables. La plus symbolique du baroque étant la colonne torse.
- La volute est aussi omniprésente dans la sculpture et l’architecture baroques. Outre sa symbolique dynamique et naturaliste, l’aileron baroque, volée de courbe terminée par un enroulement, est aussi une solution particulièrement élégante pour adoucir et atténuer la rupture de ligne entre deux niveaux superposés. Utilisé dans la composition de certaines façades, l’aileron apparait fréquemment dans le dessin du portail, les plates-bandes des retables sculptés ou les frises du décor architectural.
- Les clochers dits « à bulbes », tout en courbes et contrecourbes. Que l’église soit isolée sur son promontoire ou blottie au cœur du village son clocher, marqueur de la présence du sacré, voit sa flèche souvent développée et traitée de façon ostentatoire. Dans les Alpes du nord, elle est de cuivre ou de fer blanc, recouvrant une charpente de bois souvent complexe, tandis qu’au sud, dans les contrées moins fournies en hautes futaies, elle est souvent de pierre.
DÉCRYPTAGE
Un clocher à bulbe en acier inoxydable
Si vous vous fiez à la forme et à la manière, il semble d’époque baroque. Mais si vous pouviez regarder de plus près la matière, un indice caché sous la patine vous indiquerait qu’il est plutôt de la vôtre… car l’acier inoxydable ne date que de 1913.
Ça n’enlève rien au talent des couvreurs, reproduisant les gestes et perpétuant le savoir-faire des « magnins », ferblantiers souvent originaires de Franche-Comté ou de Suisse. Des ferblantiers qui, croyez nous sur parole, s’ils avaient connu l’acier inoxydable, l’auraient utilisé !