L’art baroque alpin
Du baroque et des hommes
Ils ne font pas partie des personnages sculptés, ne sont pas sur les fresques, pas plus que sur les bannières ou les tentures. Et pourtant, ce qui fait la force de vie du baroque, ce sont eux… Ces fidèles, confrères, artisans et artistes, travaillant avec passion ou dépensant sans compter pour leur église ou leur chapelle. Autrefois pour construire, à présent pour restaurer.
Regardez bien, derrière chaque pierre, chaque décor, ce sont eux qu’il faut voir.
Et si la richesse des ornements est souvent aux antipodes de leur humble condition, au cours de vos escapades baroques, c’est à leur rencontre que vous irez….
DU « CHŒUR » A L’OUVRAGE
Aujourd’hui comme hier, l’intérêt du baroque alpin est avant tout de révéler une histoire humaine ancrée dans son territoire. Dans les vallées de montagne si aux XVIIe et XVIIIe siècles, l’évêque ou l’archevêque donne souvent l’injonction initiale, le chantier paroissial comme celui de la chapelle de quartier ou de confrérie ne se fait pas par l’opération du Saint Esprit…
DU « CHŒUR » A L’OUVRAGE
Il est pris en main et géré par la communauté ou la confrérie : leurs représentants échangent avec l’artisan ou l’artiste et font établir, par le notaire et devant témoins, le prix-fait. Ce contrat engage les premiers au règlement de sommes définies à des échéances précises et les seconds à la livraison de l’ouvrage « faict et parachevé » en temps et en heure. Quant au curé, hôte de passage auprès de la communauté, il n’a pas toujours son mot à dire sur les choix effectués !
Ailleurs, dans les bourgs et les villes le développement d’un baroque civil est révélateur du goût des élites pour la décoration de leurs demeures. Comme les communautés rurales, ces élites aristocratiques font appel aux meilleurs artisans et artistes du moment.
Peu de documents d’archives ont été conservés au sujet de l’activité des ateliers, généralement itinérants, qui œuvraient d’un chantier à l’autre. Pour autant, on peut juger de leur talent sur pièce et de place en place, par les signatures apposées quelquefois sur les œuvres. On sait ainsi que les guildes et confréries d’artistes stucateurs, peintres ou doreurs ont rayonné à l’échelle de régions relativement étendues, renvoyées d’un chantier au suivant sur recommandation du clergé et des fabriciens. On sait aussi qu’il existait des micro-écoles locales au sein desquelles se conservaient des modèles ornementaux repérés au cours de voyages ou communiqués par des reproductions imprimées.
Des montagnards devenus fous de baroque
Sont-ce les sentiers escarpés prenant parfois des allures de chemin de croix ? Est-ce la proximité du mont Blanc, invitant à côtoyer l’Eternel ? Les calamités naturelles, ne laissant aux hameaux isolés d’autre choix que d’implorer le Ciel ? Toujours est-il que l’art baroque a trouvé dans ces territoires qui paraissent coupés du monde et soumis aux conditions les plus extrêmes un terreau de fidèles insoupçonné. Et, ensemble, ils ont accompli des miracles…
Fous de baroque
Décrits au 16ème siècle par Rabelais comme « de misérables mendiants en guenilles, dépourvus de tout bien et s’exprimant de manière incompréhensible », les Savoyards, 150 ans plus tard, étaient devenus « des gens proprement vêtus, parlant parfaitement le français et capables de donner un honorable spectacle de musique et de danse », aux dires du comte Villeneuve-Bargemont.
Les évolutions de l’époque moderne et les actions d’un appareil d’état autoritaire et centralisé étaient passés par là… Intégrant les vallées alpines au processus de modernisation alors en œuvre dans toute l’Europe qui va diffuser dans les contrées les plus retirées ses courants intellectuels, littéraires et politiques. Un esprit, une culture, un mode de vie à première vue éloignés des traditions montagnardes, mais que cette société terrienne, habituée à composer avec les éléments et naturellement portée à élargir ses horizons, va adopter avec une facilité et une rapidité déconcertantes. D’autant que son modèle sociétal, la communauté rurale, représentée par un syndic – certes, choisi parmi les notables et nommé par l’Intendant – et jouissant d’une relative autonomie financière, peut cohabiter avec un absolutisme arrivant alors à son apogée, sans être menacée dans ses fondamentaux : un fonctionnement au mérite et des principes relativement égalitaires.
A la fois source d’inspiration, d’évolution et d’émotion ici, plus qu’ailleurs, le baroque sera une révélation….
CHARITÉ BIEN ORDONNÉE COMMENCE PAR… LES CONFRÉRIES
D’abord du blanc, puis du noir, et ensuite, dans un ordre aléatoire, du gris, du rouge, du bleu, et même du vert… Nous ne sommes pas en train de vous parler de peinture au numéro ou des couleurs dominantes d’un tableau, mais de celles choisies par les confréries de dévotion pour se différencier les unes des autres, à l’heure où il était de bon ton de faire acte de charité…
CHARITÉ BIEN ORDONNÉE COMMENCE PAR… LES CONFRÉRIES
Ces confréries religieuses, qui prospèrent à l’époque, sont bien souvent les commanditaires effectifs des décors baroquissimes qui nous éblouissent aujourd’hui au fil des Escapades baroques dans les Alpes.
Apparues au sein des communautés à la fin du Moyen Age, elles regroupent des fidèles laïcs, désireux de se livrer à des rites de dévotion (récitation de prières, processions, participation aux cérémonies liturgiques) tout en accomplissant des missions d’assistance ou des actes de charité (visites aux malades, assistance aux plus démunis, organisation des funérailles…)
Administrées par une série d’officiers élus, disposant de moyens matériels et financiers résultant de dons, legs et revenus fonciers, elles fondent et entretiennent leur propre chapelle – qu’elles font décorer par les meilleurs artisans et artistes – mais aussi d’autres institutions pérennes : hospice ou hôpital de charité, mont granatique, service de pompes funèbres… qui leur confèrent un rôle social important. A la fois encouragées et surveillées par l’autorité sacerdotale, elles se multiplieront, notamment durant les siècles baroques, jusqu’à devoir adopter des tenues de couleurs différenciées, pour mieux se distinguer.
FOI DE MONTAGNARD
Nommé à Combloux en 1733, le révérend Joseph Rouge se souvient…
« L’histoire remonte à loin. Du coup, je ne sais plus si le voyage fut court ou long, ni si l’accueil fut chaleureux. Ce que je n’ai pas oublié, ce sont les conditions dans lesquelles j’ai récupéré les clés de l’église… Les communiers, par la voie du syndic ont, de façon très explicite, posé les modalités de mon exercice paroissial. Me laissant entendre qu’avant de prendre possession des clefs de l’église, je devais promettre d’observer fidèlement la coutume du lieu. Me faisant comprendre que s’ils ne contestaient pas ma mission spirituelle, l’église et tout ce qu’elle contenait de décors et d’ornements leur appartenait, et que je n’en étais que le gardien ! »
DÉCRYPTAGE
Œuvre restaurée : Le Sanctuaire Notre-Dame de la Vie dans la vallée des Belleville (Tarentaise)
A le voir aussi bien conservé, on a du mal à croire qu’il ait plus de quatre cents ans. Le site est connu pour avoir été le théâtre de guérisons miraculeuses. Aussi, faut-il voir dans cette exceptionnelle longévité une manifestation divine ?
L’explication, vous la trouverez chez les restaurateurs contemporains, gardiens de savoir-faire ancestraux, qui comme le firent d’autres artistes et artisans en leur temps, taillent la pierre, sculptent l’arolle, manient la feuille d’or, façonnent le cuivre, gâchent la chaux, ajustent l’ardoise, magnifient les ocres et autres pigments pour que les perles baroques traversent le temps sans prendre une ride.
Parmi les autres restaurations exceptionnelles et complètes à découvrir chemin faisant : celles de l’église Saint-Maurice (Hauteville-Gondon, Bourg-Saint-Maurice, Tarentaise, Savoie), de l’église Saint-Jacques-d’Assyrie (Hauteluce, Beaufortain, Savoie) ou encore de Notre-Dame de l’Assomption (Cordon, Pays du Mont-Blanc, Haute-Savoie)…
UNE HISTOIRE SANS FIN
Dotant les vallées alpines de paysages artistiques inédits aux XVIIe et XVIIIe siècles, le mouvement baroque ne s’est pas arrêté en si bon chemin, avec des aménagements et décors continuant à embraser le chœur des églises et à attiser la foi des fidèles jusqu’au milieu du XIXe siècle, se jouant presque des flambées révolutionnaires…
UNE HISTOIRE SANS FIN
Cette persistance s’explique en partie par la réintégration des territoires de Savoie et du Comté de Nice au sein du Royaume de Piémont-Sardaigne en 1815, et en partie par un mode de vie ayant connu finalement peu de changements. Mêmes causes, mêmes effets : l’art baroque continue à servir les desseins des autorités laïques et religieuses et à apporter son réconfort spirituel aux populations. Ces réalisations du XIXe siècle révèlent aussi le caractère routinier des mentalités locales dans des villages d’altitude qui entament alors un inexorable déclin démographique et économique.
Une persistance d’un goût pour le baroque assez déroutante à une époque où par ailleurs, notamment en Savoie, sont en vogue le Néo-gothique (comme à Hautecombe, dans la cathédrale de Chambéry ou dans de nombreuses églises paroissiales de l’Avant-Pays) ou le Néo-classique (qui concerne de nombreuses églises paroissiales et des édifices civils comme le palais de justice de Chambéry ou la mairie de Bonneville…)
Et même si le rattachement des territoires à la France en 1860, combiné à l’évolution de l’Eglise et à l’impact de la guerre de 1870, verra apparaître ces autres courants au cœur des vallées de montagne, votre présence sur les pas des artistes du baroque, témoigne d’un pouvoir de séduction qui opère encore…