
L’art baroque alpin
Des voies de communications et d'échanges
DE LA ROUTE DES COLS AUX CHEMINS DE LA FOI
Les innombrables croix, chapelles et autres oratoires jalonnant la plupart des cheminements alpins pourraient laisser entendre que Dieu seul a montré la voie. Il ne faut pour autant oublier celles tracées par un prince soucieux de rayonner pour mieux régner. Mais leur présence n’en a pas moins de sens, en des temps où il fallait vraiment avoir la foi pour se lancer sur la route des cols…

RAYONNER POUR MIEUX REGNER
La métaphore de Louis XIV s’identifiant au soleil, pour éclairer et réchauffer jusqu’au plus humble et au plus éloigné des sujets, en a inspiré plus d’un. Parmi eux, les princes de la Maison de Savoie qui, pour rayonner du Léman à la Méditerranée, lanceront d’ambitieux programmes d’aménagement du territoire.
RAYONNER POUR MIEUX REGNER
C’est ainsi que sera constitué un extraordinaire réseau de routes et sentiers, permettant de relier Turin et les principaux corps constitués des Etats de Savoie, Conseil, Sénat, Université, au reste du territoire.
Symbolique de cette volonté de rayonner : la composition en étoile des résidences royales autour de Turin (Rivoli, Venaria Reale, Stupinigi, Moncalieri…), dont les voies d’accès convergent comme des rayons vers le cœur de la ville.
LE CHEMIN DE CROIX, AUTREMENT
Sur les itinéraires les plus empruntés, telle la Route royale reliant Turin à Nice, dès 1610, par le col de Tende et les gorges de la Roya, essentielle au transport du sel de Ligurie, ou dans le dernier quart du XVIIe siècle, la route de Turin à Chambéry et Lyon par Les Échelles, le confort et la sécurité des usagers de la route étaient déjà une priorité…
LE CHEMIN DE CROIX, AUTREMENT
…avec des refuges et des hospices offrant le gîte et le couvert aux pèlerins, colporteurs et autres voyageurs de grands chemins. Bien qu’ayant déjà un demi millénaire d’existence à l’époque, l’un des plus incontournables reste l’hospice du col du Petit Saint Bernard, ouvrant la Tarentaise au Val d’Aoste : un lieu à ce point chargé d’histoire qu’il résonne encore des rires et des récits échangés sur un coin de table, à qui sait tendre l’oreille.
Et pour assurer la sécurité en chemin, un chapelet ininterrompu de croix, oratoires, chapelles et autres cairns bordant les routes et sentiers, qui, aujourd’hui encore, vous permettront d’invoquer la protection de saint Bernard, patron des voyageurs, de saint Antoine, patron des muletiers et protecteur des mulets, ou de prier pour les brebis égarées… ou les âmes des défunts : pèlerins morts de froid en chemin ou marchands emportés par une avalanche ou une coulée de boue.

LE BAROQUE : UN ART EN MOUVEMENT
Favorisant la circulation des biens et des personnes, mais aussi des croyances et des courants de pensée, les voies de communication vont se multiplier sur tout le territoire ; Ouvrant les cols ; Irriguant chaque vallée ; Reliant chaque village…
LE BAROQUE : UN ART EN MOUVEMENT
…Et offrant autant de voies royales à l’art baroque, mais aussi aux artistes, plus que jamais libres de circuler sur tout le territoire.
Quant à savoir si la multiplicité des chemins a rendu les voies du Seigneur moins impénétrables… L’histoire ne le dit pas.
FAIT D’EPOQUE
Capris de Castellemont, Intendant de Savoie :
« Le développement des axes de communication, s’il avait d’énormes avantages pour le commerce aussi bien que pour l’administration, ne nous mettait pas à l’abri des soucis d’intendance.
Je me souviens de cet appel d’offre lancé en 1759 pour l’acheminement de 600 balles de sel à dos de mulets, par le col de la Vanoise entre Moûtiers et Termignon. Sur cet axe si fréquenté à la belle saison, moi qui pensais n’avoir que l’embarras du choix, j’ai finalement eu plus d’embarras que de choix.
Il faut dire que le passage est vite délicat l’automne venant… [NDRL : Nous sommes au cœur de la période climatique nommée « petit âge glaciaire ». Les passages des cols sont compliqués par les avancées glaciaires notables et les hivers généralement longs et vigoureux]
Ne trouvant que Marie-Joseph Bernard de la ville de Moûtiers pour faire affaire, à raison de 4 livres 19 sols et 10 deniers pour chaque charge de sel, comportant deux balles. Et même si ce prix comportait le retour des sacs vides, l’addition n’en fut pas moins salée ! »
Une économie qui coule de source…
Autres voies royales, torrents, rivières et lacs furent utilisés pour l’acheminement des troncs d’arbres et le transport de matériaux pondéreux par bateaux et radeaux. Parmi les vestiges qui peuvent vous en parler, la Grange Batelière de l’Abbaye de Hautecombe, riveraine du lac du Bourget…
Une économie qui coule de source…
… servant au déchargement des bateaux et au stockage des marchandises transitant par le canal de Savières, elle n’est hélas plus au sommet de sa gloire au XVIIe siècle. Hautecombe… Un site reflet de toute une civilisation, puisqu’à la fois théâtre de ces échanges par voie fluviale, bénie par la présence des moines cisterciens (jusqu’à la Révolution) et dernière demeure des princes de Savoie. Ce lieu chargé d’histoire, à la manière des bateliers d’antan, saura vous faire remonter le cours du temps.
Dans une approche plus empreinte d’esprit baroque – les plans en attestent – Nice connait, à partir de 1750, un considérable chantier : celui du creusement et de l’aménagement d’un véritable port de commerce dans les anciens marécages de Lympia. L’attribution de Gênes au royaume de Piémont-Sardaigne par le Congrès de Vienne (1815) suspendra cette réalisation que l’administration française achèvera, sur d’autres plans, après 1860…